Il y a dans mon métier de dénicheur, quelque chose d’extrêmement grisant : aller là où personne n’a encore voulu, pu, envisagé de poser un instant sa plume, planté sa fourchette, trempé ses lèvres pour immortaliser la naissance d’un établissement. Le but n’est certainement pas d’être le premier – encore que l’on puisse y trouver évidemment une satisfaction égotistique coupable – mais plutôt de pouvoir partager, informer, le plus vite possible et avec le plus d’enthousiasme ; un coup de cœur, une découverte ou simplement le bon plan du coin. Le rituel est toujours le même : l’intrigue d’abord, face à un élément nouveau dans le décor, l’excitation ensuite, au moment de pousser une porte, entrouvrir un rideau, tirer la chevillette. Cette fois-ci ne fait pas exception à la règle. Je connaissais la fameuse part des anges, fugace et traitre, qui nous prive toujours. Il faudra désormais composer avec La part des ours, bien plus chaleureuse et capiteuse celle-ci. Exit donc dans la rue éponyme, d’une enseigne de restauration rapide, au profit de ce nouveau bar-restaurant chaleureux qui a quelques coups en stock sous ses pattes.
A la manœuvre, on retrouve Yves – ancien propriétaire du P7 à Paris – et Pauline – chef barman à l’ouverture des Chouettes et du Nikita notamment – qui ont décidé de nous jouer une partition à mi-chemin entre une table d’hôtes et un lounge-bar dans lequel le comptoir trône en place centrale et invite autant à la découverte épicurienne qu’au partage et la convivialité. Côté bar, la carte arbore une simplicité qui me plait : quatre signatures principales et quelques petites surprises supplémentaires en stock. ‘Un Breton à Paris’ qui ravira les nostalgiques de la péninsule celtique, des saveurs iodés de Gin Mist qui vient sublimer un sirop de citronnelle maison, du vermouth Dolin blanc et du gingembre qui se fondent à merveille dans ce mariage frais que vient surplomber une huitre végétale, c’est du Concarneau en coupette. Saison oblige, j’ai testé le ‘Winter is Coming’ tout de Mezcal et pomme pressée vêtu, rigoureusement efficace pour réveiller les papilles. Le ‘Baboushka’ à l’aquafaba, eau de rose maison, vodka Soplica, Smoky Monkey et son espuma de fève tonka, liqueur tabac et Monkey Shoulder me faisait évidemment de l’œil mais il faut savoir en garder sous le coude. Mais le ‘BBQ Old Fashioned’ avec sa sauce maison aurait de toute façon remporter la mise. A tout faire dans l’urgence, on en perd l’essence et la beauté d’une ouverture, réside dans le plaisir que l’on prend à y revenir pour voir les choses évoluer.
Côté cuisine, la carte est encore en construction également mais l’offre alléchante ravira les impondérables qui comme moi ne conçoivent plus une partie de cocktails en l’air sans une cuisine au diapason. Œuf mollet gratiné et crème d’épinards ; carotte confite jus de coing et chips de jambon, vous voici lancé. Epeautre, potimarron rôti aux épices ; joue de porc et panais ; poulet rôti et mousseline vous voilà comblé. Et pour les gourmands, riz au lait ; crème brulée à la lavande ou moelleux au chocolat, vous voilà repu. Ajoutez à cela quelques vins bien triés sur le volet, la blonde douce, l’ambrée de caractère et leur sœur crazy IPA, des fromages de la maison Alexandre et la charcuterie de la maison Mas et vous obtenez un Ours paré à affronter l’hiver. A découvrir de toute urgence, quelque chose me dit que si vous voulez vous en tailler une bonne part, mieux vaut ne pas attendre que tous les ours de la capitale débarquent, ce qui ne devrait pas tarder !
La part des ours
9 rue aux Ours 75003 Paris • Lundi-samedi 10h-2h