Dernière journée des Primeurs 2010 mais non des moindres ; St Emilion et la Rive droite sont au programme des dégustations. Vous le connaissez, vous avez forcément déjà gouté ses vins, vous l’avez vu dans Mondovino, vous en êtes fan ? Michel Rolland, l’oenologue-conseil, star de Bordeaux et du nouveau monde faisait goûter ses vins pour la première fois au Château Soutard. Outre les Vignobles Michel Rolland (ses propres vins), ce n’est pas moins de 200 propriétés que le gourou goûte et conseille en Bordeaux supérieur, Côtes de Bordeaux, satellites de St Emilion, Fronsac, Lalande-de-Pomerol, Pomerol, St Emilion, Médoc, Pessac-Léognan en bien plus encore avec les domaines du célèbre Bernard Magrez et quelques vins blancs, sans parler des vignobles de l’étranger… Rassurez-vous, le flying wine maker n’est pas tout seul, ils sont cinq collaborateurs à suivre « la philosophie du boss » et à se répartir par appellations.
Soyons honnête je n’ai pas tout goûté mais les impressions qui me viennent après cette intéressante dégustation restent la fraicheur du fruit et la présence de bons tannins. Cela reste subjectif, certes. Les bons tannins sont définis comme des tannins murs, que l’on sent au niveau du palais mais qui restent éphémère alors que les mauvais tannins sont des tannins verts, asséchants au palais et qui restent en bouche trop longtemps.
Seulement à quelques mètres de là , au Château La Couspaude, la dégustation de l’Union des Grands Crus de St Emilion commence. Léger mouvement de foule lorsque arrive le Marquis Eric d’Aramont, propriétaire de l’élégant Château Figeac à St Emilion poursuivi par une équipe photo du magazine britannique Decanter. Certains des vins goûtés chez Michel Rolland sont proposés à la dégustation. Parmi ces vins aux tannins murs, pas mal d’alcool, de puissance et d’énergie. La maitrise de l’extraction, c’était un peu le défi 2010 pour les maitres de chai. Coup de coeur pour le Château Canon-la-Gaffelière, Château Figeac, le Clos Fourtet de la famille Cuvelier et Château Beauséjour-Bécot qui recevait les dégustateurs l’année dernière.
Les 2010 sont définitivement plus puissants et acides, moins faciles à appréhender et plus techniques mais tiendront plus longtemps que 2009 « le charmeur ». Arriver à se projeter dans le temps pour apprécier ces échantillons à leur juste valeur de « bébés vins » encore en cours d’élevage est un exercice difficile et éprouvant. Michel Bettane, célèbre dégustateur des guides Bettane et Desseauve expliquait récemment « qu’il est bien sur impossible de dire à ce stade -sur des échantillons- si 2010 est meilleur que 2009. Ils ont des caractères différents. Les 2010 ont un peu plus d’acidité et un peu plus de classicisme dans les tanins. Ils se rapprochent des 2009 par leur richesse en alcool et leur maturité poussée ».
Direction l’Angélus, premier grand Cru classé de St Emilion, mené par la famille de Boà¼ard depuis plus d’un siècle. Les vins d’Hubert de Boà¼ard de Laforest sont là , lui aussi, ainsi que tous ceux qu’il conseille puisque c’est en tant que jeune oenologue de 25 ans qu’il a repris la propriété familiale. Des vins d’Afrique du sud, un rosé de Thailande 100% syrah entourent le mythique Château Angélus à dominance de cabernet franc cette année, une exception sur la rive droite mais une réussite indéniable. Mon second coup de coeur de la maison va pour « Le Plus de Boà¼ard », des vignes de 75 ans, 100% merlot, à suivre.
Malheureusement pas le temps de passer voir Jean-Luc Thunevin et ses vins de Garage nichés en plein coeur de St Emilion dont j’ai pourtant entendu le plus grand bien pour ses 2010, notamment son Valandraud, Virginie de Valandraud et le fameux Bad boy disponible chez tout bon caviste parisien.
Car c’est déjà la fin du marathon avec last but not least : Pomerol la mythique. Ici c’est l’élégance, le cashmere, nous sommes sur les terres de Pétrus et ses collègues d’exception. Moins d’échantillons à cette dégustation de l’UGC au Château Le Pin qui profite de ses trois ans de travaux pour réouvrir aux dégustateurs et s’offrir ainsi une visibilité exceptionnelle. Les échantillons sont puissants, sur des arômes de truffes, mais il reste une certaine fraicheur malgré la sucrosité perceptible. Coups de coeur pour Château La Conseillante et Château Clinet, des tannins apprivoisés, une texture soyeuse, de toute beauté.
Ainsi s’achève cette semaine intense de dégustations, échanges passionnés, allers-retours dans les vignobles et chais mythiques du bordelais. Il ne nous reste plus qu’à attendre avec fébrilité la sortie « en Primeurs » des prix de vente, dans quelques semaines. Tout en sachant que les propriétaires attendent eux même fébrilement les notes de dégustations des happy few qui font la pluie et le beau temps sur Bordeaux avant de se placer sur la Place. Système dont Michel Bettane dénonçait le principe des dégustations assises dans une lettre ouverte à la présidente multitâches de l’UGCB Sylvie Cazes en début de semaine. Sa réponse, publiée dans le magazine anglophone Decanter, laisse de toute façon présager un désintérêt notable pour le public français forcé de bouder l’arrogante Bordeaux.
En espérant donc que les prix ne soient pas trop exubérants malgré la réussite du millésime (troisième meilleur du siècle après 2005 et 2009), un millésime à garder si tout n’est pas exporté vers les marchés émergents. Ce millésime 2010 plus fidèle aux terroirs bordelais pourrait aussi intéresser les consommateurs/spéculateurs anglophones par son classicisme proche d’un 1989 ou d’un 1975. Marché de niche et produits de luxe, à boire ou pour spéculer, Bordeaux restera toujours l’ambassadeur du vin de luxe à la française. Mais il ne faut pas oublier que toutes ces spéculations ne représentent qu’un infime pourcentage de la production des 54 appellations de Bordeaux composés de petits producteurs qui font aussi d’excellents vins à moins de 10 euros…
Hélène Worldwine