Alors que les vins d’Alsace se font généralement connaître par leurs cépages, Jean Michel Deiss, le propriétaire du grand domaine familial situé à Bergheim, n’a pas voulu faire comme les autres. Ce vigneron à la renommée internationale, s’est fixé l’objectif de pratiquer la complantation et de retourner au modèle forestier pour transmettre à ses vins un maximum d’originalité et… de terroir.
Convaincu que la monoculture est par essence déséquilibrée, il propose différentes cuvées qui ne portent pas le nom du cépage mais le nom de chaque terroir dont elles sont issues. Un pari incompris pour ceux qui ne croient pas à la possibilité de cultiver puis vendanger plusieurs cépages sur une même parcelle. Et pourtant, les résultats sont là, et croyez-nous, ils sont aussi complexes que fascinants !
Grâce à l’imprégnation des vignes qui descendent à plus de 60 mètres, les trois grands crus du domaine –Altemberg de Bergheim, Mambourg et Schoenenbourg– prouvent bien que la sophistication passe avant tout par la richesse et la profondeur des sols. Une vision qu’il souhaite partager afin d’emmener l’ensemble de l’appellation vers l’excellence.
Il nous avoue qu’il lui a fallut plusieurs années avant d’arriver à la conclusion que ce n’est pas le cépage qui prédéfinit la qualité sur un terroir. Il explique d’ailleurs qu’il n’existe aucune description absolue entre le cépage et le lieu, et que seule la hiérarchie de la profondeur des vignes définit la hiérarchie des appellations. De ce fait, on comprend plus facilement les raisons pour lesquelles la qualité organoleptique des grands crus est plus complexe que celle des premiers crus ou de la simple appellation.
Pour (arriver à) mieux cerner cette magie du sol, J.M. Deiss a pour habitude de faire déguster ses vins sous une forme bien particulière : la dégustation géo-sensorielle. Cet exercice met en exergue la relation entre le produit et le terroir et permet ainsi de comprendre le véritable sens de « la complexité ». Souvent employé pour parler des grands vins, ce mot décrit simplement le reflet du sol dont il est issu.
A travers cette dégustation, on ne cherche pas à savoir si le vin sent la pêche, le citron ou l’herbe mouillée ! On s’attache uniquement à la richesse du sol qui permet de réaliser des vins profonds, mystiques, avec une véritable harmonie. On devine la couleur du sol (clair ou foncé), sa matière (cristallin ou sédimentaire) ou encore sa température (chaud ou froid). On pourrait même aller jusqu’à dire que l’on goûte le sol ; on devine les textures et on arrive enfin à clairement identifier nos préférences dans le vin.
La description des vins n’est ainsi en aucun cas une approche rectiligne, technique, avec des mots calibrés. En dégustant ses vins produits la même année, sur le même domaine et par le même vigneron, on se rend compte que cette expérience bluffante mérite vraiment que l’on s’y intéresse de près. Que vous soyez nocives ou experts, on perçoit un monde de différences inimaginables au palais. Et ces différences existent grâce à l’énergie de chaque lieu, de chaque terroir.
// Clémence Pillot • photos Sébastien Foulard