Tombé dans le fût de rhum de la Martinique au hasard d’un séjour sur l’île, Cyrille Lawson en est passionnément tombé amoureux. Au point d’être aujourd’hui l’une des figures de l’AOC en tant que directeur commercial de la marque HSE. Rencontre, sans ajout de sucre, autour de l’esprit de la canne à sucre, de ses traditions et de ses innovation.

Christophe Hamieau : Cyrille Lawson, vous venez d’où, vous avez quel âge ?

Cyrille Lawson : Je suis Bordelais de la rive droite, d’un tout petit village Salleboeuf à coté de Libourne, aux portes de St Emilion. Je suis dans l’année de mes 48 ans…

En fait on s’en moque de l’âge, il n’y a que pour le rhum que c’est important, et encore…

Je suis d’accord, pour moi bien sûr, mais aussi pour le rhum ce n’est pas l’essentiel !

Quelle est votre formation ?

Technique, dans l’agroalimentaire puis une année complémentaire en technique de commercialisation des produits de l’agro-alimentaire et avec l’IFG (Institut Français de Gestion) je suis titulaire d’un DESS en management stratégique.

Que pensiez-vous faire quand vous étiez enfant ? Pompier, policier, footballeur, rockeur…?

J’ai eu une période footballeur… Mais la question est drôle car en fait je n’ai pas de souvenir de projection. La seule chose que je savais c’est qu’il me fallait un boulot avec passion. Il me fallait cette flamme qui pousse à aller plus loin mais aussi qui me remette en cause.

Et quand vous êtes devenu adulte ?

Pareil, avec la notion de plaisir en plus. Que l’on retrouve dans ma sensibilité au goût qui est de plus en plus prégnante. Je repense souvent à cette discussion que j’ai eu avec un grand chef qui m’a dit un jour « si je cuisinais la poularde à l’ancienne comme on la faisait en 1800 elle serait immangeable aujourd’hui ». Aujourd’hui ce qui me plait c’est d’avoir les bases très techniques et un peu hermétiques d’un métier et de les remettre en cause pour pouvoir les faire évoluer dans le but d’atteindre un nouveau palier de satisfaction.

Vous aimiez le rhum ou c’est un hasard, une rencontre qui vous a amené à l’apprécier ?

Honnêtement non. Je ne le connaissais pas, j’étais très vin, élevé par mon grand père viticulteur. Par contre avec un peu de recul, en repensant aux moments passés avec lui dans le chai, avec les fûts, à philosopher autour de la notion de temps, il doit y avoir une cohérence que je ne percevais pas sur le moment.

Vous êtes arrivé dans le rhum en même temps que l’AOC Martinique ou presque ?

Oui, c’est cela, je suis arrivé à l’Habitation Saint-Etienne juste l’année d’après, en 1997, après une rencontre avec José Hayot et son projet de racheter une marque magnifique, leader dans les années 70, Saint Etienne, et qui avait tout à reconstruire au propre comme au figuré. Je n’avais pas de projet j’étais en vacances à la Martinique. L’ambitieux projet de José avec sa notion de conservation du patrimoine m’a fait rester…

Vous qui êtes « coincé » par le cahier des charges de l’AOC Rhum de Martinique, cela ne vous agace pas que le rhum, s’il n’est pas AOC, on puisse faire un peu tout et n’importe quoi ?

Les règles existent, il y a une directive européenne très précise sur la définition du rhum, et cela devrait aller vers le mieux avec une répression plus présente, même si les recettes ne sont pas toujours faciles à obtenir de la part de tous les producteurs. C’est surtout car les consommateurs exigent de plus en plus de savoir ce qu’il y a précisément dans le rhum. Sinon il y a la sanction du marché, quand celui-ci est assez mûr, qui arrivera…

Il y a un besoin de clarté, c’est indéniable !

Donc pour vous certaines règles ne sont pas respectées ?

Je n’ai pas dit qu’elles ne l’étaient pas mais il y a un besoin de clarté, c’est indéniable. Il y a certaines provenances et certaines marques pour lesquelles les consommateurs de plus en plus connaisseurs réclament ce petit plus de clarté. Je crois qu’il y a de la place pour toutes les typologies de jus, à condition que l’on explique clairement ce que c’est. Raison pour laquelle des producteurs tendent a être de plus en plus clairs…

Lorsque le rhum agricole a 12 ans de vieillissement ce n’est pas la même chose que 12 ans pour un rhum en solera…

Les consommateurs deviennent donc de plus en plus connaisseurs, exigeants, vous n’avez pas peur que le marché du rhum prenne un chemin de premiumisation excessive avec des prix qui s’envolent comme ce que l’on peut constater pour le whisky ?

Certes cela peut être une préoccupation mais je vais me concentrer sur l’agricole où, lorsqu’on a 12 ans de vieillissement ce n’est pas la même chose que 12 ans pour un rhum en solera. Dans ce dernier l’ouillage est fait avec du rhum blanc donc le pourcentage de 12 ans est assez restreint… 
Quand on a une part des anges de 10% par an sur un rhum de 18 ans en AOC Martinique en fût de 200L il nous reste 15 à 20% du volume initial, soit moins de 20 litres… Alors cela a un prix ! Alors oui la forte demande fait monter les prix, donc c’est à nous de faire ce qu’il faut pour maintenir une offre de qualité suffisante. Mais qui pouvait croire par exemple que le marché de la grande distribution en France métropolitaine allait prendre 40% par an depuis les 4 dernières années ? 
Alors oui, on est attentif a ne pas détruire nos stocks de rhums vieux même si pas mal de producteurs martiniquais, du fait de cet engouement, ont connu des descentes de stock sur certaines années que l’on doit aujourd’hui reconstruire. 
Cela représente un coût financier sur plusieurs années avec de nouveaux chais de vieillissement comme chez HSE. On peut aussi envisager par exemple une autre répartition entre la part de rhum blanc et rhum vieux sur le marché avec une baisse pour le premier. On peut aussi envisager un contingentement des marchés en jugulant le grand export.

Vous avez relooké les flacons HSE, vous avez développé le rhum vieux, les cask finish, vous avez encore des idées ?

Cela a été une ouverture du chant des possibles. On a toujours importé du chêne. Ce dernier était le passage obligé pour faire du rhum vieux, une unité de coût obligatoire. On lotait nos fûts et on faisait vieillir 5 ans, 8 ans, 10 ans… en fonction des arrivages, bourbon, cognac, barriques à vin… Aujourd’hui on a inversé le process : au lieu d’être tributaire des bourses, des fûts d’occasion en arrivage, on va sourcer, on teste, on valide si cela est intéressant comme cela a été fait à la Tour Blanche ou chez Marquis de Termes. Avec en plus une dimension humaine au travers des échanges que l’on peut avoir avec les équipes de ces producteurs. On a une dimension de pilotage du vieillissement très prégnante chez HSE, à la fois sur les typologies de bois, de chauffe, de fûts et leurs usages préalable, les finitions ne sont qu’une partie de cette approche. On a des nouveaux produits qui vont sortir en début d’année sur lesquels on va encore plus loin sur les types de bois et de chauffe.

HSE ne fait pas de rhum arrangés, épicés ?

Cela n’est pas notre métier historique, pas notre savoir faire, nous travaillons au mieux avec nos deux matières premières que sont le rhum blanc et les fûts de chêne.

HSE ne communique pas beaucoup sur la mixologie ?

Sans doute parce que les choses se font étape par étape. Nous sommes une entreprise de moyenne taille. Le segment du CHR pourrait être développé, il faut pour cela que notre partenaire commercial s’ancre un peu plus dessus. Le choix a été fait de privilégier les cavistes. Il ne faut pas oublier que si HSE commence à être une marque connue, il y a encore 10 ans ce n’était pas le cas. 
Alors on est aujourd’hui présent sur un marché du cocktail assez pointu avec des bars parisiens qui ont une approche très instruite sur le rhum, ils créent des cocktails qui mettent en avant l’âme du produit et son caractère respecté avec des ingrédients choisis ou faits par eux, dans une vraie démarche de qualité. Comme le Maria Loca, le Dirty Dick, le Mabel et le Calbar, pour ne citer qu’eux.

Mojito bashing ? Je ne vois pas d’antinomie à faire un Mojito et avoir une consommation de rhum qualitative.

Vous pensez quoi du Mojito, sans doute LE cocktail qui a fait aimer le rhum au plus grand nombre en France ?

Il y a sans doute un Mojito bashing en ce moment, parce qu’il a été mis à toutes les sauces – on voit même des savons aujourd’hui ! – mais je ne vois pas d’antinomie à faire un Mojito et avoir une consommation de rhum qualitative. Ce que je souhaite peut être c’est voir à une carte un mojito qui ne porte pas ce nom là mais dont le barman s’est demandé comment sublimer le rhum agricole, ne serait-ce que par un cocktail un peu plus sec, un peu plus serré. C’est un peu comme pour ce qui a été fait avec le rhum vieux et le Old Fashioned l’an passé lors de la Old Fashioned Week de Cyrille Hugon. Ces variations de consommation ouvrent ma porte du rhum à de nouveaux consommateurs et c’est tant mieux.

Vous ne participez pas au Mojito Bashing mais vous pensez quoi des rhums sucrés, aromatisés qui ont sans doute encore plus participé à la démocratisation de la consommation de rhum en France ?

Il faut être clair, dire les choses telles qu’elles sont. S’il y a une tradition dans tel ou tel pays à faire des rhums avec un rajout de sucre il faut, à l’intérieur de la loi européenne définissant le rhum, que ce soit identifié. Ces rhums sont une manière, pour un néo amateur de rhum, de découvrir le spiritueux par une dégustation plus facile. C’est une étape pour arriver, après plusieurs expériences de dégustation, à l’Agricole. Mais pas que, parce qu’il y a des rhums de sucreries de très grande qualité aussi. Je ne vois pas là un danger pour le rhum agricole tant que l’on garde notre côté puriste et notre capacité à expliquer ce que l’on fait et à cultiver notre expertise de l’AOC Martinique.

Votre lieu rhum préféré ?

A la maison, la fin d’après midi le samedi quand les copains arrivent à la maison qu’on imagine la thématique de la grillade, que l’on imagine l’apéro et le digestif en fonction du repas !

Le mezcal me passionne.

Si on interdisait le rhum, votre spiritueux serait lequel ?

C’est un cauchemar ! En vieilli le whisky ou Armagnac, sinon je m’intéresse au mezcal où j’ai gouté des choses hautement qualitatives, avec cette notion de petites productions, de micro parcelles, c’est un univers qui me passionne.

Il y a-t-il quelque chose que je ne vous ai pas demandé et que vous aimeriez me dire ?

Oui, vous parler de la partie humaine de l’aventure qui a commencé avec le rachat de l’Habitation en 1995 au moment de l’AOC par Yves et José Hayot, et ce sentiment de filiation que je ressens par la passion qu’ils ont su me faire passer. 
Je voudrais aussi vous parler de Lionel Lampin, maitre de chai HSE, qui fait un boulot incroyable, un vrai nez et de notre petit jeu du vendredi qui consiste à se faire un petit sampling d’un fût et de s’envoyer un petit message à son sujet comme des gamins qui s’échangeraient des billes. Sans oublier Sébastien Dormoy, directeur de production, qui complète cette trilogie que nous formons. Avec notre complémentarité, qui est aussi le fait du don et de l’expertise de José Hayot d’avoir su mettre ce trio en place, avec notre jeunesse dans le métier qui nous fait oser des choses sans à priori.

 

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