Le docteur Rodrigo A. Medellin (alias Batman), Professeur à l’Institut de l’Ecologie de l’Université Nationale Autonome du Mexique – UNAM, a dédié sa vie à la protection des chauves-souris. Les chauves-souris pollinisatrices d’agaves ‘Leptonycteris nivalis’ étaient sur la liste rouge des animaux en voix d’extinction de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Après une étude minutieuse de ces mammifères et de leurs habitudes, il a réussi à sauver l’espèce et à la délister des animaux en danger en 2013.
Mais comment a-t-il fait et quel rapport avec la tequila ??
La tequila est produite à partir d’une seule sorte d’agave : l’agave bleu ou agave tequilana weber. Le cycle naturel de l’agave bleu prend une dizaine d’année jusqu’à la floraison qui entraine la mort de l’agave. L’agave comporte des feuilles que les jimadores (fermiers mexicains qui récoltent les agaves) coupent pour récupérer le cœur dit piña –avant la floraison. Arrivée à maturité, une tige comprenant les fleurs va pousser. Avec le temps, l’agave bleu a été clonée pour la production de plus en plus intensive de tequila et la biodiversité de l’espèce est dangereusement réduite à deux souches ADN. Rappel historique : la France connait bien les dangers du clonage systématique lorsqu’en 1861, le phylloxera est apparu et a décimé nos vignes made in France. Ce sont les américains qui ont sauvé nos vignes mais c’est une autre histoire…
De retour à nos agaves bleus, les chauves-souris se nourrissent entre autre du pollen et du nectar trouvés dans les fleurs d’agave mais comme nous l’avons vu plus haut, la production de tequila ne permet pas aux agaves bleus d’arriver à complète maturité jusqu’à la formation des fleurs. Le professeur Medellin, armé de tous ses arguments pour la sauvegarde des chauves-souris, est allé plaider leur cause au Tequila Regulatory Council, en 1983 et en 2003. Il a parlé du destin entremêlé des agaves et des chauves-souris mais aussi des dangers dus au clonage systématique des agaves bleus. En vain…
Finalement le Tequila Regulatory Council demanda de l’aide au professeur Medellin en 2011, ayant compris l’importance du danger pour les agaves. Un programme appelé ‘Bat friendly Tequila and Mezcal project’ a été mis en place, l’objectif étant la sauvegarde à la fois des chauves-souris et des agaves bleus. Le Bat Friendly Program est une collaboration entre le Dr Rodrigo Medellin et l’UNAM, David Suro et le Tequila Interchange Project ainsi que trois producteurs de Tequila dont Ocho/La Alteña. Jesse Estes, ambassadeur de la Tequila Ocho, a évoqué avec nous l’objectif du projet, les critères pour y participer et les difficultés rencontrées :
« Tequila Ocho est l’une des quelques marques de Tequila participantes au Bat Friendly Program. Le but de ce projet est de réintroduire une diversité génétique chez les agaves bleus pour réduire les risques de décimation due à une possible maladie ou un parasite. En laissant le ‘quiote’ pousser (une longue tige qui contient des fleurs, du pollen et des graines), l’agave bleu ne peut plus être utilisé pour la production de Tequila. Cela fait plus de 100 ans que les agaves bleus cultivés pour la production de Tequila n’étaient pas arrivés au bout de leur cycle naturel.
Les fleurs du quiote s’ouvrent la nuit et les chauves-souris étant des animaux nocturnes, vont naturellement polliniser les agaves sur de larges zones. Avec le temps, l’espoir est de voir la diversité génétique des agaves se multiplier. Le risque étant l’apparition d’une maladie qui pourrait dévaster les agaves bleus portant le même génome. La diversité génétique entrainerait une meilleure protection contre ce danger. Pour pouvoir participer au projet, le producteur s’engage à laisser fleurir 5% de sa production totale d’agaves. »
David Suro, propriétaire et fondateur de Siembra Spirits et l’un des fondateurs du ‘Bat Friendly Projet’ :
« Alors que le Bat Friendly project arrive à sa 4eme année d’existence, il fait face à d’énormes challenges. La pénurie actuelle d’agaves oblige les producteurs à faire des choix difficiles et impose des limitations sévères quant à la quantité d’agaves qu’ils peuvent raisonnablement laisser fleurir. A l’origine les producteurs devaient laisser 5% de leurs agaves fleurir et même si nous avons abaissé ce quota à 3% il est extrêmement difficile de le respecter. Nous espérons qu’une stabilisation des prix des agaves permette un plus grand nombre d’agaves alloué au projet. L’augmentation de pollinisation croisée permettra à l’UNAM [Universidad Nacional Autónoma de México] d’analyser les différences génétiques entre les agaves cultivées et les agaves sauvages et de faire progresser la recherche. »
Les participants au Bat Friendly Project doivent faire face à des difficultés économiques non négligeables ce qui expliquerait leur nombre encore restreint. Aussi certains détracteurs du programme ne croient pas en la corrélation entre les chauves-souris et les agaves et estiment qu’il ne s’agit que d’un coup marketing ou d’une fake news.
Domingo Garcia, maitre de conférences à l’université de Lille et auteur de plusieurs livres sur le Mezcal ajoute qu’un changement génétique significatif n’interviendra que sur du long terme compte tenu de la quantité d’agaves rattachés au programme. Cependant les résultats sont là pour les chauves-souris qui ne sont plus en danger, cela reste donc une victoire autant pour elles que pour les agaves bleus et pour le professeur Medellin, l’université du Mexique (UNAM) ainsi que pour l’équipe du Tequila Interchange Project (et les buveurs de Tequila !).
Oui, on peut donc dire que Batman a sauvé la tequila !!
Si vous trouvez le logo ‘Bat Friendly Project’ sur une bouteille de tequila ou de mezcal dans votre bar (et que vous la buvez, avec modération bien sûr !), vous saurez que vous agissez pour le bien de la planète !!
Salud !
Remerciements : Jesse Estes de Tequila Ocho, Phil Bayly Global Mezcal Ambassador, David Migueres de Mezcal Brothers et Domingo Garcia
Pour en apprendre plus : tequilainterchangeproject.org